Témoignage 3

C'est bientôt la fin de ma dernière année d'études dans l'Institut de commerce le plus prestigieux au Maroc, là où on forme la crème de la crème qui est par la suite très recherchée et même très sollicitée sur le marché du travail.

À cette période, plusieurs firmes visitent notre cher institut, histoire de passer des entretiens d'embauche sur place, afin de ne pas rater les cerveaux brillants de ces étudiants fraîchement arrivés de la belle période des études. Seulement, ces étudiants, seront-ils aussi sollicités les uns que les autres? ou bien y'aura-t-il d'autres critères en jeu? ces critères, seront-ils objectifs? basés sur la compétence? c'est ce que j'espérais avant ma maudite expérience.

J'ai été tirée au sort avec huit autres futures lauréates parmi une promotion d'au moins 140 personnes, pour passer un entretien avec le responsable de ressources humaines d'une firme appartenant à un leader sur son secteur. Plusieurs de mes camarades m'enviaient, ne sachant pas que leur jalousie était pourtant vaine !

L'entretien commence, à priori tout se passe bien, on parle de mes réalisation professionnelles, de mes compétences extrascolaires, de mes compétences communicationnelles, le responsable en question est plutôt intéressé par mes reponses,  il a même la gentillesse de noter devant mes yeux ses impressions sur mes compétences sur une grille que j'arrive aisément à visualiser... Je vois des A et des A+ se défiler devant mes yeux, je suis plutôt optimiste. Finalement, on en arrive à la question la plus délicate, celle du salaire. Le responsable est surpris par le salaire que je propose, pourtant, c'est le salaire moyen du marché.

- Le salaire que vous demandez est très haut, on a une grille de salaire qu'on ne peut pas dépasser pour les nouvelles recrues, cependant, je vais noter le salaire que vous proposez tout de même!

Voulant être sure de mettre toutes les chances de mon côté, pour savoir à quel point le voile constituerait un obstacle même si mes exigences sont minimales, et surtout, étant donné que dans le mois qui suivait j'allais être dans un autre pays entrain de poursuivre mes études, avoir ce boulot était le dernier de mes soucis. Mon objectif unique était de savoir si, en répondant à tous les critères demandés, et en exigeant un salaire de misère relativement aux salaires du marché, je pouvais rêver de décrocher ce boulot, même avec le morceau de tissu sur ma têre qu'est mon voile.

- Euh, avant de le noter, quels sont les salaires que vous proposez sur votre grille de salaire?

- C'est xxxx Dh, vous en dites quoi?

Surprise de la nullité de la somme, mais voulant continuer mon test jusqu'au bout, je continue:

- Ok, vous pouvez le mettre tout de même, le salaire n'est pas tout après tout.

L'entretien est sur le point de prendre fin (normal, on a déjà passé une heure à discuter), lorsque le responsable touche au point critique:

- Vous savez, je ne suis personnellement pas contre le voile, pour la simple raison que ma femme le porte, cependant, au sein de la firme, ceci risque d'être mal vu par mes supérieurs et collègues

(Pfffffff au fond de moi même, comme si leurs mères et grand mères n'étaient pas voilées, comme s'ils vivaient dans un autre pays que le Maroc!!! Si seulement ils avaient le courage de chasser les clientes qui portent le voile parce qu'elles sont mal vues aussi, ou alors quand il est question de gagner de l'argent rien ne compte plus, on peut mettre ses caprices à l'écart!!!)

- Mais vous savez, je suis très ouverte en terme de relations humaines, je n'ai aucun blocage à communiquer avec les autres, bref, je ne pense pas que mon voile puisse avoir un impact sur mes relations avec les clients...

- Ok, en tous cas j'ai pris note de vos compétences, et je vous tiendrai au courant de la suite par téléphone.

À l'issue de l'entretien, j'étais optimiste, mais le fait que le point du voile eut été soulevé réduisait beaucoup cet optimisme.

Je n'ai depuis jamais eu de nouvelles de la firme, cependant, j'ai pu apprendre par deux autres amies qui avaient passé l'entretien le même jour, et qui n'étaient pas prêtes à accepter moins que le salaire que j'avais proposé au début et qui semblait très élevé aux yeux du responsable, qu'elles avaient reçu le coup de fil promis du responsable, les invitant à travailler avec le salaire qu'elles avaient exigé. Étant donné que je les dépassais en terme de moyenne scolaire et que nos qualités communicationnelles sont très proches, je pense que leur seul "atout" était l’absence de morceau de tissu sur leur chevelure.

Aujourd'hui, étant loin du Maroc, j'observe la situation négative stagnante de mes amies voilées, et cette situation me donne tout sauf l'envie de retourner à mon pays le Maroc! dans le pays occidental non musulman où je suis, je pense que j'ai plus de chance d'être jugée par mes compétences qu'au Maroc, où la culture des apparences semble prendre de plus en plus d'ampleur au fil du temps.